…027
Il faisait déjà chaud le matin où Silvère Morin descendit de l’avion avec ses élèves. Neil et Darrell étaient vêtus comme de jeunes hommes d’affaires, en habit et cravate. Ils avaient si belle allure que toutes les femmes se retournaient sur leur passage. Mais les deux Nagas ne s’en apercevaient pas. Ils surveillaient plutôt les environs, à la recherche d’une menace potentielle. Ils suivirent sagement leur mentor à travers les douanes et les autres postes de contrôle. Ils ramassèrent leurs bagages sur le carrousel et ne se relaxèrent qu’une fois dans le taxi. Comme ils en avaient reçu l’ordre, ils ne prononcèrent pas un mot avant d’être arrivés devant l’hôtel où ils logeraient les prochains jours.
Par mesure de prudence, Silvère ne leur avait pas encore expliqué comment il procéderait pour éliminer l’Antéchrist. Ces jeunes loups curieux parlaient beaucoup ensemble, et une conversation était si vite interceptée. Le portier de l’hôtel se chargea de leurs valises sous l’œil méfiant de Neil, car elles contenaient leurs katanas en plus de leurs vêtements.
— J’ai un rendez-vous avec un homme que je dois rencontrer seul, leur dit alors Silvère.
— Non, maître, protesta aussitôt Darrell.
— Tu ne me crois pas capable de me défendre seul ? le taquina le mentor.
— C’est une ville dangereuse.
— Toutes les villes le sont devenues. Allez explorer les vieux quartiers l’esprit en paix, tous les deux, mais soyez de retour pour le repas de midi.
Cela représentait une permission de trois heures, ce dont ils n’avaient jamais bénéficié depuis qu’ils étudiaient avec le vieux Naga.
— Ne parlez pas à n’importe qui, et pour l’amour du ciel, ayez l’air de jeunes Anglais en congrès à Jérusalem, leur recommanda Silvère.
— Oui, maître.
— Allez, filez.
Un sourire apparut sur le visage de Neil, tandis que Darrell ne semblait pas vouloir quitter son professeur. Neil le saisit donc par le bras et l’entraîna avec lui sur le trottoir, en direction d’un magasin de souvenirs.
— Si nous voulons avoir l’air de touristes, nous avons besoin d’une carte géographique et d’un appareil photo ! s’exclama-t-il pour le dérider.
Silvère attendit que ses élèves se soient éloignés pour procéder à leur enregistrement au comptoir de la réception.
— Vos deux chambres sont déjà prêtes, monsieur Morin. Je vais y faire porter vos valises, et voici vos clés.
— Merveilleux, se réjouit le vieil homme aux cheveux blancs et aux yeux bleu ciel. Pouvez-vous aussi me dire si monsieur Mahoney vous a laissé un message pour moi ?
— Oui, justement.
Le préposé lui remit une enveloppe. Silvère le remercia et s’éloigna en la décachetant. Le court message fixait leur rencontre à la terrasse d’un restaurant situé au coin de la rue. Il s’y rendit donc d’un pas tranquille, en jouant au vieux monsieur. Il ne fut pas difficile de reconnaître son contact. Comme tous les Pléiadiens, ce dernier avait les cheveux blonds comme les blés. Mahoney ressemblait à un homme dans la trentaine, mais Silvère savait parfaitement qu’il ne fallait pas se fier à l’apparence de ces êtres extraterrestres. Certains de leurs représentants, qui avaient une centaine d’années, ressemblaient encore à des adolescents.
— Monsieur Mahoney ? l’aborda le Naga.
— C’est moi.
— Je suis Silvère Morin.
— Je vous en prie, asseyez-vous. Partagerez-vous le thé avec moi ? C’est un mélange qu’on ne retrouve que dans ce quartier.
C’était bien la phrase avec laquelle le Pléiadien devait s’identifier auprès du Naga. Ce dernier prit place devant son contact et l’observa tandis qu’il versait la boisson chaude dans une tasse de fantaisie.
— Les temps ont bien changé, répondit Silvère, ce qui était sa phrase de reconnaissance.
— Mais nous ne perdons pas l’espoir d’améliorer notre sort.
Le vieil homme acquiesça d’un mouvement lent de la tête.
Mahoney avait la même douceur que tous les autres Pléiadiens qu’il avait rencontrés dans ses gestes et dans son regard. En fait, il ressemblait beaucoup à Thierry physiquement.
— Les plans de paix de l’Israélien lui attirent beaucoup d’ennemis, déclara Mahoney, sans détour. Il y a déjà eu plusieurs tentatives d’assassinats contre lui.
— Par ceux de ma race ?
— Certainement pas, sinon ils n’auraient pas échoué.
— Nous a-t-on imposé un délai précis ?
— Aucun. Les anciens savent comment vous opérez. Je vous ai laissé une enveloppe dans un casier, à la gare.
Mahoney lui remit discrètement une petite clé.
— Vous y trouverez tout ce dont vous pourriez avoir besoin : cartes, plans, emploi du temps de cet homme, cartons d’invitation pour sa prochaine conférence à Jérusalem si jamais vous décidez d’y aller sans passer par les murs. Je ne vous dirai certainement pas comment faire votre travail.
Silvère fit glisser la clé dans la poche intérieure de sa veste et but quelques gorgées de thé. Il faisait vraiment un temps magnifique.
— Vous savez au moins que notre intervention ne réglera pas entièrement le problème ? fit-il avec sa sagesse habituelle. Il trouvera un autre corps.
— Nous tâcherons de toujours avoir un pas d’avance sur lui, monsieur Morin. Faites-nous confiance.
— Oui, bien sûr.
Tandis que leur mentor recueillait tout ce dont ils auraient besoin pour procéder à l’exécution de Ben-Adnah, ses deux louveteaux se dirigeaient vers la vieille cité en suivant les indications de leur guide touristique, armés d’un appareil photo et de bouteilles d’eau.
Ils franchirent la porte de Jaffa puis suivirent la rue David, qui séparait le quartier arménien du quartier chrétien, avant de déboucher dans la rue de la Chaîne, qui divisait le quartier juif et le quartier musulman, à la recherche du Dôme de la Roche dont parlait leur petit livre. Ils prenaient des clichés de l’architecture des bâtiments, des étals et de tout ce qui retenait leur attention, en prenant garde de ne pas se photographier mutuellement.
Lorsqu’ils arrivèrent au bout de la rue, ils furent bien surpris de ne pas trouver le dôme doré qui dominait pourtant la colline du temple. Tout avait été rasé ! Des centaines d’équipes travaillaient plutôt à l’érection de nouveaux bâtiments en pierre, dont un rempart et, en son centre, ce qui ressemblait étrangement à un temple.
— Nous avons acheté une édition périmée, soupira Neil en refermant le guide touristique.
— N’avons-nous pas vu un court reportage sur les projets du nouveau chef politique d’Israël qui parlait de la reconstruction du temple de Salomon ? se rappela Darrell.
— Tu as sans doute raison. Je me demande si on peut s’en approcher.
Le chantier était en effet entouré d’une haute clôture percée ponctuellement d’entrées gardées par des soldats.
— Les touristes ordinaires ne passeraient sans doute pas, dit Neil à son condisciple en lui faisant un clin d’œil.
Ils commencèrent à marcher le long des barrières métalliques en observant le chantier par les ouvertures qu’on y avait pratiquées pour les curieux.
— Neil, ressens-tu ce que je ressens ? s’étonna Darrell.
— Mon poil vient en effet de se hérisser sur tout mon corps.
— Il y a un autre Naga dans les parages.
— Nous n’avons appris qu’à suivre la trace l’un de l’autre.
— Ce n’est certainement pas plus difficile.
— Tu crois que le maître serait d’accord ?
— Je pense qu’il sera plus content d’apprendre que ce matin, nous avons aiguisé nos sens de varan plutôt qu’avoir perdu notre temps à prendre des photos.
Les doigts légèrement écartés, les deux futurs traqueurs suivirent la faible trace d’énergie qui semblait vouloir les conduire à la tour carrée qui s’élevait à l’intersection des deux murailles toutes neuves.
— Il doit être là-dedans, devina Darrell.
— Si on allait y jeter un coup d’œil de plus près ?
Les Nagas s’assurèrent que personne ne regardait dans leur direction, puis s’enfoncèrent dans la pierre. Avant de s’en détacher, à l’intérieur, ils ouvrirent les yeux dans le mur. Il n’y avait encore rien dans la pièce carrée du rez-de-chaussée. Ils y pénétrèrent donc sans risquer d’être repérés. Neil alla tout de suite vérifier l’unique porte qui donnait accès au bâtiment.
— Elle est verrouillée de l’extérieur, annonça-t-il.
— Le Naga est en haut, lui fit savoir Darrell.
Ils grimpèrent prudemment l’escalier, afin de ne pas être accueillis par un katana en atteignant l’étage supérieur. Toutefois, au lieu d’arriver face à face avec un assassin en puissance, ils aperçurent un homme endormi, assis sur le sol, le dos appuyé contre le mur. Dans la pénombre, ils virent qu’il était aussi blond qu’eux. Les jeunes guerriers s’approchèrent à pas de loup.
— C’est Théo ! s’exclama Neil.
Son éclat de voix réveilla le varan. Celui-ci porta vivement la main sur son arme, mais les deux jeunes se laissèrent tomber à genoux près de lui et arrêtèrent son geste.
— Théo, c’est nous, Neil et Darrell ! fit ce dernier.
Puisque l’aîné ne réagissait pas, Neil continua à lui rafraîchir la mémoire.
— Nous sommes des élèves de Silvère. Nous l’avons accompagné à Montréal lorsqu’il t’a arraché des griffes de Perfidia, et nous avons passé un peu de temps avec toi dans la grotte des Pléiadiens.
— Nous savons que tu as été empoisonné, ajouta Darrell, mais nous ignorons s’il existe un contrepoison.
Thierry n’allait certainement pas leur dire que seule la reine des Dracos pouvaient le composer. Ils auraient été assez fous pour tenter de s’en procurer.
— Tu es très faible, se désola Darrell.
— J’ai du mal à me nourrir en raison de l’épuisement de plus en plus grand de mon corps, répondit Thierry, dans un souffle.
Sans hésitation, Neil sortit de sa veste un petit flacon de poudre dorée. Il en versa une toute petite dose dans sa bouteille d’eau et aida Thierry à la boire. Son visage reprit aussitôt des couleurs.
— Es-tu capable de t’en procurer dans cette ville ? voulut savoir Darrell.
— Je n’ai plus vraiment la force d’en prendre aux Dracos, ni même aux Neterou.
— Il faut lui en trouver une bonne quantité, décida Neil. Dis-nous où aller.
— Que faites-vous à Jérusalem, pour commencer ? s’étonna l’aîné, qui se sentait de plus en plus revigoré.
— Nous ne pouvons pas te révéler notre mission, tu le sais bien, lui rappela Darrell.
— Vous êtes bien trop jeunes pour aller en mission.
— Silvère est avec nous.
— Ah…, grommela Thierry, amer.
— Il ne faut pas lui en vouloir, Théo, dit doucement Neil. Il ne fait que ce que les anciens lui demandent de faire.
— Partez, maintenant.
— Pas sans t’avoir trouvé de la poudre.
— Vous allez foutre vos propres carrières en l’air si vous restez ici. Je vous ordonne de partir.
Neil déposa sa petite fiole dans la main du légendaire Naga.
— Reprends-la ! se fâcha Thierry.
— Tu en as plus besoin que moi.
Les deux jeunes s’empressèrent de redescendre au rez-de-chaussée et de retourner dans la rue. De toute façon, leurs trois heures de liberté tiraient à leur fin. Ils devaient retourner à l’hôtel et, surtout, ne pas parler de leur trouvaille, ce qui ne serait pas facile devant le regard inquisiteur de leur mentor.